« Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter ».
Ce sont ces paroles, empruntes de gravité et de dignité, qui résonnent en ce lieu, ici au mémorial de Gisozi, à Kigali.
Raconter la nuit.
Ces paroles convoquent un insondable silence.
Le silence de plus d'un million d'hommes, de femmes, d'enfants, qui ne sont plus là pour raconter cette interminable éclipse de l'Humanité, ces heures où tout s'est tu.
Elles nous racontent la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais.
Une course sans arrivée et sans espoir, une traque implacable qui reprenait chaque matin, chaque après-midi, dans une terrible et banale répétition du mal.
Elles nous font entendre la voix de ceux qui, après avoir trébuché, ont affronté la mort ou la torture de leurs bourreaux sans un cri, parfois pour laisser s'enfuir un proche, un parent, un enfant, un ami qu'ils avaient protégé jusqu'à leur dernier souffle.
Ces voix qui se taisaient quand montait, à l'aube, l'insoutenable euphorie des chants de rassemblement de ceux qui tuaient «ensemble» et de ceux qui partaient, dans leur vocabulaire dévoyé, au « travail ».
Ce lieu leur restitue tout ce dont on avait tenté de les priver : un visage, une histoire, des souvenirs.