CHAPITRE 1 un certain Don José
Au début de l’automne 1830, je me trouve en Andalousie pour faire des recherches archéologiques sur l’emplacement de Munda1.
Un jour, dans la plaine de Cachena, fatigué, mourant de soif et brûlé par le soleil, j’aperçois une petite pelouse verte qui annonce une source.
En effet, un ruisseau se perd dans la pelouse, il sort d’une gorge étroite de la sierra de Cabra. Après avoir fait une centaine de pas, je vois que la gorge s’ouvre sur un cirque naturel parfaitement ombragé.
L’endroit est très agréable et je décide de m’y reposer, mais je ne suis pas seul, un homme est déjà là, il semble dormir. Réveillé par le bruit des chevaux, il se lève. C’est un homme jeune, d'apparence robuste, de taille moyenne, au regard sombre et fier. Sa peau, par l’action du soleil, est plus foncée que ses cheveux. Je le salue d’un signe de tête familier et je lui demande si j'ai troublé son sommeil[Munda : emplacement dans la Sierra Morena, en Andalousie.]. Il me regarde sans me répondre. En le voyant, mon guide commence à pâlir [Pâlir : perdre la couleur.]. Moi, je ne laisse voir aucune inquiétude, je vais au bord de la source et je bois, puis je m’étends sur l'herbe et je lui demande s’il fume :
—Oui, Monsieur, me répond-il.
Je remarque qu’il ne prononce pas ces mots à la manière andalouse, et j’en conclus que c’est un voyageur comme moi. Je lui offre le meilleur cigare qu’il me reste et il se met à fumer avec beaucoup de plaisir.
En Espagne, un cigare donné et reçu établit des relations d’hospitalité et nous commençons à parler des lieux où nous nous trouvons.
L'endroit est si charmant que je décide de manger ici et j'invite l'étranger à partager mon repas. Apparemment, il n'a pas mangé depuis longtemps : il dévore le jambon comme un loup affamé. Mon guide, lui, mange peu, boit encore moins et ne parle pas du tout. Sur le point de partir, mon nouvel ami, Don José, me demande où je vais passer la nuit. Je lui réponds que je vais à la venta[La venta : une auberge.] del Cuervo.
—Mauvais endroit pour une personne comme vous, Monsieur, si vous me permettez de vous accompagner, nous ferons route ensemble.