Derrière chaque manuscrit se cache une histoire.
Hector Berlioz, grand musicien, mais aussi, homme, un peu prétentieux, telle est l’image qu’il a toujours véhiculée et qui se confirme à la lecture de cette lettre qu’il envoie à son père en décembre 1837 pour lui faire partager sa joie et son enthousiasme au lendemain de la première interprétation en public de son requiem.
L’œuvre est jouée le 5 décembre 1837 dans l’Eglise Saint-Louis des Invalides à la mémoire du général Damrémont et des soldats tombés au combat lors du siège de Constantine par les armées de Louis Philippe.
Et voilà pourquoi Berlioz commence sa lettre par ces mots : « Nous avons pris Constantine, nous aussi ! » . Derrière les lignes se cache l’ambition démesurée d’Hector Berlioz, musicien reconnu, certes, il avait aussi la réputation d’être fin calculateur et, à une époque où la musique était affaire de politique, de commandes, de relations, d’alliances et de trahisons, Berlioz n’avait pas que des amis.
Lui-même, critique musicale à la plume acérée, il relate à son père les commentaires que son œuvre a suscités et, si la plupart des journaux l’ont encensé, deux d’entre eux l’ont désavoué : le Corsaire et le Constitutionnel.
Et Berlioz d’expliquer qu’il s’agit là de mesquinerie, de vengeance, comme quoi, la musique n’adoucit pas toujours les mœurs. Mais, lorsqu’il écrit cette lettre, Berlioz semble en pâmoison et boit du petit lait.
Il ne compte plus les éloges, les messages de félicitations, dont celui du Duc d’Orléans, l’émotion ressentie par le public.
Même le curé de Saint-Louis des Invalides en eut la larme à l’œil, écrit-il. En même temps, imaginons la scène : la chapelle des Invalides décorée de milliers de chandelles, la famille royale au premier rang, quatre-vingt-dix instruments, deux cents choristes, quatre ensembles de cuivres pour quatre-vingt-dix minutes de musique grandiose.
Quelle magnificence pour ce requiem qui reste l’une des œuvres majeures de Berlioz. Mais derrière l’euphorie de ce courrier mâtiné d’un brin d’orgueil bien légitime se dégage aussi l’affection de la famille Berlioz : le musicien avoue avoir regretté l’absence de ses parents et de ses sœurs installés en Isère et il reconnait que sa femme, la belle Henriette, qui lui inspira la Symphonie fantastique, a été émue aux larmes et que leur fils, le jeune Louis, a été enthousiasmé par la puissance des cuivres particulièrement présents.
Lettre d’un homme heureux et fier à son père, ce manuscrit confirme toutefois un certain manque d’humilité souvent reproché à Berlioz.